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Astorga vu par l'aide fourrier

Cahier de marche de l’appointé caporal aide fourrier Anaëlle dite Requiem.




Les marins présentent les armes à l'Empereur

Les marins présentent les armes à l'Empereur © Jordi Bru





Le 15 octobre de l’An XVIII


Nous voilà revenus de notre 12ème Campagne en Espagne. Nos carrioles, voire nos pieds ensanglantés ont traversé un tramm pikol meinig (morceaux d’énormes cailloux, en breton) nommé Pyrénées... Toutefois notre passage s’est effectué par en-dessous. Ce qui est étonnant et déroutant. En effet, nos magnifiques artilleurs ont réussi à faire une brèche dans cette roche grisâtre, grâce à leurs grandes compétences, rappelant jadis l’exploit de Rolland à Roncevaux, qui fendit un rocher de son épée (mon œil !).

Ainsi, une fois la traversée réalisée, on s’est mis à chanter « Les Lorientaises sont comme des homards … », en rapport avec la couleur de nos visages par l’effet de la chaleur. Soudain, le col franchi, notre boîte à musique, qu’on appellera plus tard « autoradio ou poste à galènes », fait entendre un langage bien différent du nôtre, des sortes de troubadours sauvages, causant fort vite, mais ne comprenant pas ce dialecte, on décide de s’en foutre un brin. Y paraîtrait qu’ce sont des Basques Espagnols qui causaient dans le poste.


Après avoir dépassé Burgos et ses églises, où nous y laissons un hôpital de campagne pour nos malades et blessés, ainsi qu’une garnison, nous continuons notre route dans un paysage plutôt désertique planté d’oliviers. Nous arrivons aux abords d’Astorga dont les maisons sont dans un triste état, beaucoup sont ruinées et semblent cuites par le soleil. Plus loin apparaissent de nombreux clochers d’églises ou de couvents qui surplombent la ville. Notre brigade défile dans la grand’ rue vide de ses habitants. Voici enfin le camp d’une partie du corps d’armée du maréchal Soult installé près d’un pont au centre du bourg, puis à quelques ruelles la « caserne », notre futur logis, quelque peu dépouillé de tout confort… enfin presque, puisqu’il n'y reste que des paillasses ou puciers. Toutefois, dès notre installation, mon petit cœur d’appointée caporale fourrière s’est vite réchauffé par la belle vue de la chambrée de nos superbes et jeunes alliés polonais de La Vistule. Pas d'inquiétude ! Je ne vais pas prendre le risque de révéler mon secret… Vous savez celui des pectoraux proéminents au Portugal (Voir les rapports d’Almeida 2018). On montre toute notre charme avec nos grandes tenues d’ouvriers-matelots et partons vers le milieu du centre-du bourg d’Astorga accueillir notre Patron. La rumeur dit qu'il est petit, les Anglois l’appelleraient Little big man, une insulte sans doute ! On verra bien une fois que Sa Grandeur sera là face à nous autres les marins. Quant aux camarades, voilà t'y pas qu'ils saluent en courbette toutes les donzelles de la province du Léon qui passent à proximité. Ah ! Ces bonshommes ! Toujours l’œil traînant sur la gent féminine comme des mendiants sur une bourse de pièces d’or. Bref ! On attend… entouré d’une forte populace un peu hostile (on s’demande bien pourquoi ?). Mais… un bruit de calèches et de chevaux se fait entendre. Le voilà ! C’est lui … L'Empereur en personne ! Il est dans une carriole toute simple, entouré de chasseurs à cheval de sa garde et d’un rutilant état-major. Si seulement notre cambusier La Garouille dit Le Boucher des padoques voyait ce spectacle ! Tous ces cavaliers seraient repartis à pinces. J’ignore si le nom de La Garouille a été entendu des canassons présents, mais on a senti une certaine nervosité parmi ces grands chevaux… La terrible rumeur aurait-elle traversé la frontière ? L’odeur de la Terreur des landes et des pâturages serait-elle imprégnée sur nos uniformes ? Mystère !



Dès l'aube, juste après le tambour de la Diane, l’ordre est donné de récupérer la poudre qui est distribuée près d’un chariot d’artillerie surveillé par quelques Lanciers-Gendarmes d’Espagne. Comme dit Le Grand Mage Gris d'une terre du Milieu (peut-être de l’Espagne), c’est un noblion du nom de Seigneur des Nazo ou des Zano : « Un soldat n'arrive jamais en retard ! » Comprenne qui pourra ! Bon ! Par la suite, nos caporaux, (les autres, car j’le suis pas encore) commencent à nous faire suer. École du soldat au menu pour apprendre à devenir des tueurs anonymes avides de vies, espérant survivre à la cambrousse locale et si Dieu, p’tèt bin not' chef nous le permet, boire un bon p'tit godet de leur meilleure cuvée d’vin d’messe. Revenons à nos caporaux, qui aussi beaux soient-ils, semblent moins fringants que nos jeunes et jolis alliés polonais… Bref ! Voici un court résumé des ordres aboyés de nos instructeurs: « En ligne, en colonnes, conversion bla bla, chargez vos armes, présentez vos armes, croisez baïonnettes etc. ! » Finalement, après cette corvée dite de décrassage, voici la pause, bonne à se dorer ou… à fondre comme un camembert normand au soleil, sur l’herbe grasse. Mais assez de rêverie ! Voici que le grand moment approche, l’ouverture du bal, c’est-à-dire la Bataille ! Fait étonnant, nous nous rendons vers le champ d’honneur sur d’immenses charrettes toutes ferrées et point d’mules devant pour nous tirer, qu’ils appellent ici bus, ôtobus, ômnibus… curieux noms latins pour des carrioles ! Nos ennemis arrivent aussi par le même mode de transport. Quelle époque, que j’me dis ! Ils sont là, face à nous aut’, flegmatiques à jacter en fumant leur brûle gueule. Tant pis pour eux, de toute manière, étant plus forts que ces rougeots-hispanos-ibéricos lusitaniens, nous les aurons sans peine à la fin du bal. Nous sommes alignés et tout près de nos superbes… euh… fidèles alliés de la Vistule. On attend… On attend … On attend toujours not’ bon Maître, c'est-à-dire l’Empereur lui même ! (Il paraît qu’il prend tranquillement son café dans une taverne d’Astorga). Quelques officiers d'état-major présents décident finalement de commencer l'attaque. On y voit goute ou plutôt rien, en raison de la végétation assez dense infestée d’insectes et de plantes épineuses sur lesquelles nos vêtements s'accrochent. Vous verrez du pays qu'ils disaient ! Tu penses bien ! On rigole lorsqu’un camarade trébuche en grommelant, la ligne est difficile à tenir, malgré les « alignements !! » des chefs. On commence à entendre, au loin, les premiers coups de fusils, les détonations se rapprochent et le « zig-zig » des balles qui sifflent au-dessus de nos têtes. Tout cela annonce le début des réjouissances. La brigade des marins est sur l’aile gauche du dispositif et avance, la dernière, en échelon, face à l’ennemi dont nous ne voyons pas encore l’uniforme. Mais peu importe, les meilleures troupes d’élite savent se faire attendre. On essaye de se rendre invisible pour tomber incognito sur l’ennemi. Nous avons été entraînés à la dure au camp d’été du château Mouillepied en Charente-Inférieure, où not' bon sergent d’artillerie adoré surnommé Tire-Bourre, nous a maintes fois fait tourner en bourrique. Voilà les premières coiffures ennemies qui passent près de nous sans nous voir. Étrange ! Ils semblent ne pas être très nombreux. Des coups de feu se font entendre, mais notre divin bouclier invincible nous protège, disons plutôt que ce sont les hautes broussailles qui nous dissimulent. Par conséquent aucun de nous ne tombe et nous continuons notre pénible marche. Quelques instants plus tard, ce sont les vibrations des pas de chevaux que nous ressentons sur le sol, puis on aperçoit des hussards du 15ème LD anglais portant d’énormes colbacks à flammes bleues qui approchent dangereusement vers notre ligne ! Le commandant nous ordonne de former le carré, ce que nous faisons approximativement car notre porte-fanion de compagnie et d’autres compagnons ne semblent pas là. Ils devront se débrouiller seuls, ils en sont capables, puisque formés à ce genre d’exercice. Not’brave sergent serre-file saura bien désarçonner un hussard monté sur un canasson, tout comme un gabier de la Navy sur une vergue. Ils nous titillent du bout de leurs sabres courbes, partent, reviennent, chargent à nouveau, mais sont gênés par la végétation. Nous les piquons de nos baïonnettes et les tirons à bout portant. Ils n’apprécient pas notre accueil et disparaissent à nouveau. Une centaine de pas plus loin, les revoilà et ils sont chaleureusement reçus ! Not' bon caporal Trusquin a conservé un souvenir impérissable de cette escarmouche, quelque peu… liquide. En effet, après avoir transpercé de sa Joséphine le dolman d’un hussard dont les boutons ont virevolté en l’air, sa monture en se cabrant a lâché une grande traînée de bave, inondant l’uniforme de notre compagnon, beurk ! Sans rancune pour cet horrible corps à corps, le cheval britannique et Trusquin sont devenus depuis, bons copains après une caresse sur le museau et la promesse d’un thé à 5 heures. Le cavalier, étendu bouche bée sur le sol, cherche péniblement son souffle et surtout les boutons de son dolman, perdus durant l’action, et nous dit dans un râle qu’il préfère la mort au sort que lui réserve sa couturière d’épouse pour la perte de sa quincaillerie. Pragmatiques et pleins d’empathies pour ce pauvre homme, nous n’osons pas l’achever laissant cela à sa mégère de compagne. Les détonations se font de plus en plus entendre et des volutes de fumée volent vers le ciel. Nous repartons à l'assaut en croisant la baïonnette jusqu’à une grande clairière où l’on découvre l'horreur des combats. Les « n'a moi, n’a moi ! » de not’ brave sergent peuvent se traduire en ralliement, ralliement ! Et pas à des à l’aide ou au secours ! Qu’on pourrait croire. Ces appels nous permettent de traverser au coude à coude des rangs entiers d’Espagnols morts ou blessés dont beaucoup portent des sortes de pantoufles ou d’espadrilles, bien inadéquates sur ce terrain.

Nous achevons par-ci, par-là quelques guérillas vindicatives parmi lesquels se trouvent des … femmes-soldats armes en main, puisqu’elles portent aussi des effets militaires ? Que font-elles ici ? Ah, oui ! J'oubliai mon propre secret. Ce sont des soldats, point final ! Elles font sûrement la même chose que moi, combattre l’ennemi. Mes obligations militaires m'inciteraient à ne pas leur faire de quartier, mais une certaine solidarité f… m’en empêche et surtout que mon Henri de fusil a décidé de ne plus fonctionner. Voilà ! Mon Berlingot chéri boude de jalousie, son canon est trop brûlant et la lumière de la platine doit être bouchée. De toute manière, nous allons à la rencontre des pelotons ennemis avec nos Joséphine de baïonnettes, sinon ce ne serait pas drôle d’achever le dîner sans prendre de digestif. C'est alors que des Espingos, faussement blessés, essayent de m’attraper par la taille. Pourquoi moi ? J’me débats, tente de rester auprès de mes camarades, mais comme mes pectoraux proéminents et ma force herculéenne semblent les impressionner, ils se mettent à trois pour me tirer vers eux. Que nenni ! C’n’est pas l’moment d’me conter fleurette ! Bon, notez que si j’vous écris aujourd’hui, c'est qu'ils n’ont pu m’emporter dans leur hacienda afin d’y manger des tapas et boire de la sangria, en espérant qu’ils ne pensaient qu’à ça ! J'ai pu m'enfuir dare-dare retrouver mes « amis » qui d’ailleurs ne sont pas venus à mon secours et se sont carapatés comme des lâches pour ne pas subir le même sort. Les canons ennemis nous font face et tirent sans relâche sans nous atteindre, seul le feuillage alentours morfle, car des milliers de brindilles volent au vent. A croire qu'ils ont approché de trop près le goulot des bouteilles de vin de messe avant de nous combattre. Hum… On attendra la fin des combats et la troisième mi-temps pour partager nos godets, surtout s’ils ont des mojitos aussi bons que ceux d'Almeida. On avance toujours plus profondément, notre centre est tenu par des troupes de ligne le 34ème et d’autres en uniformes blancs, le 3ème sans doute, plus loin il y a la Garde. Après plus de 2 heures de combat, montre gousset en main, nous arrivons aux abords d’un ex charmant petit bourg, très rustique, déjà transformé en ruine fumante. Il devait y avoir de belles demeures en pierre tout près d’un pont à un seul arc en plein cintre, très joli. On y aurait bien flâné sans cette P… de guerre … et je reste là à rêvasser malgré la fumée et les tirs venant de toutes les fenêtres, quand, tout à coup, pan pan, clac clac ! On me tire dessus, le plomb frappe sur le mur près de moi et je crie : « Eh, oh ! Ca n’va pas dans vos caboches ? Vous n’pouvez pas attendre que je finisse mes rêveries avant de tenter de m’émondier ! ». Je tire au jugé à travers une fenêtre à quinze pas au moins. Un pistolet encore fumant tombe au sol. Du premier coup, j’ai eu l’oiseau d’malheur qui s’cachait derrière. Pendant ce temps là, le canon résonne dans les ruelles enfumées. Les lignes adverses composées d’Anglais, de Portugais et d’Espagnols rétrécissent à chaque volée de mitraille, laissant des dizaines de types entassés sur le sol, tués et blessés. Ils reculent en ordre, d’autres fuient. D’un coup les tires ralentissent et j’entends « place, place, dégagez ! ». On se retourne et nous voyons arriver plusieurs chasseurs à cheval, des dragons, des emplumés sortant d’une volière ouverte et… le Patron en redingote grise. Nous pensions que son retard était du aux préparatifs de la bataille, voire à la prise d’un long café (voir plus haut !) car nous ne l'avions pas encore vu sur le champ d’Honneur. Il était monté sur un fier destrier blanc. Vous connaissez sans doute la blague d'Henry IV, celle en rapport avec un cheval blanc… ? Bon, laissons tomber, c’n’est pas l’moment ! Plusieurs matelots et soldats cessent le combat et présentent les armes, d’autres crient « Vive l’Empereur ! ». Il ordonne à ses chasseurs d’ouvrir la route à travers les rangs ennemis un peu ébranlés par la présence du P’tit Tondu. Ils resserrent les rangs, croisent la baïonnette en vain. Ils sont bousculés, piétinés, taillés en pièces et tiraillés de toutes parts. Nos marins abrités derrière un muret font des ravages chez les Écossais agglutinés près d’une maison. Nos meilleurs ennemis, les Portugais d’Almeida, commandés par un jeune officier dénommé Pedro, restent en ligne, rangs serrés, et tirent sans relâche tout en reculant. Notre commandant nous ordonne de ne pas tirer sur eux, sans doute pour ne pas attirer leur attention vers nous aut’ (mais aussi qu’on espère être de nouveaux invités au Portugal l’année prochaine.) Un capitaine, officier d’ordonnance est près de not’ Lumière Céleste de chef de bataillon et sollicite l’honneur de commander le feu. Il a un fort accent anglais, sans doute un Irlandais ou quelque chose comme ça ! « Apprêtez, joue, feuuuu ! ». La fumée se disperse et fait apparaître ce brave officier qui exulte de joie, un sourire lumineux allant d’une oreille à l’autre. Il faut vraiment peu de chose pour rendre un homme heureux ! Le combat continue sous le regard d’aigle du P’tit caporal. On met genoux à terre et on tire sans relâche, le canon de mon Henri est vraiment brûlant. On avance de quelques mètres, on tire à nouveau, puis on se retire pour recharger alors qu’un autre compagnon nous remplace. On continue l’avance et parcourons les ruelles du bourg encombrées de morts. Oui, vraiment, ce village est magnifique que j’me dis ! Voici une autre ruelle pavée sur not' gauche, on s'y engouffre baïonnette au canon et… Aïe ! Encore eux ! Ce sont les Écossais en jupette du 42ème, je crois, très massifs en rangs serrés. Y sont toujours sur notre route ces bougres ! Pas d'inquiétude, pas d'inquiétude j’me dis. On connait ces rudes bonshommes des hautes plaines depuis des années, et on a déjà prévu le coup. Il faut préciser, qu’on les a sentis arriver (Il ne s’agit pas là d’odeur !). La fourberie est bien leur fort, on se rappelle des combats d’Almeida où leurs faux morts avaient tenté de prendre un de nos canons par surprise. Nous reconnaissant, ils nous canardent aussi sec. Des éboulis de murs, de crépis et de tuiles nous tombent dessus, mais aucun de nous n’est touché. Je me pose de sérieuses questions, car depuis le début des réjouissances nous n’avons pas de perte. Soit nous sommes invincibles, soit ceux d’en face sont bourrés et ont vidé tous les troquets de la péninsule. Que nous restera-t-il plus tard ? Des barriques vides et plus d’mojitos à s’enfiler ! Ah, les goujats ! Les officiers d’état-major sont près de nous, mais leurs chevaux semblent apeurés et nerveux de notre proximité. Ces solides équidés sont toujours terrorisés en présence des marins, sans doute l'odeur… oui, c’est ça, l'odeur ! En effet, celle de not' carnassier d’cambusier s’est sans doute imprégnée dans nos uniformes. C’est là une malédiction équine, aucun marin ne peut devenir cavalier, sauf à monter un hippocampe, mais il n’en existe pas à notre taille ! Mais assez de digressions ! Revenons à nos moutons ou plutôt à notre combat. Nos efforts sont enfin récompensés et l'ennemi est repoussé vers une petite place pas piqué des hannetons ayant une forme triangulaire, enfin me semble-t-il ! L'écho des tirs fait bourdonner mes oreilles. Je lève la tête et j’aperçois à une fenêtre un autochtone coiffé d’un chapeau burlesque qui nous fait coucou de la main. Il regarde l'affrontement du haut de son balcon, mais n’a sans doute pas remarqué la couleur de notre drapeau. Il va être surpris en voyant le Patron.

Les combats cessent progressivement. Les troupes françaises forment un arc de cercle autour des troupes alliées, serrées en pelotes les unes contre les autres, toutes nations confondues, pendant que le reste du corps britannique, bien plus loin, commandé par John Moore, file à l’anglaise vers La Corogne afin de s’y embarquer dare-dare. Cependant nous sommes là, stoïques. Pour sûr ça va être l’hallali, nos fusils sont chargés, nos baïonnettes rougies sont prêtes à fondre sur ces pauvres types et nos canons sont chargés jusqu’à la gueule de mitrailles. Les morts et mourants forment une sorte de barricade devant cette ligne de soldats. Des officiers portugais se détachent et approchent de nos lignes, un chiffon blanc noué sur la lame d’un sabre. Notre commandant se joint aux officiers français qui acceptent volontiers la reddition des troupes adverses. Tous s’embrassent et se serrent la main. Ils auraient pu faire ça plus tôt, que j’me dis ! Cela nous aurait évité de nous battre comme des chiffonniers. Notre commandant discute avec l’officier portugais Pedro, ils se marrent ! C’est un comble ! L’un dit à l’autre : « J’ai du bon Porto pour toi et un énorme jambon pour tes hommes ! Bin moi, mon cher, j’ai du Pineau des Charentes de derrière les fagots et quelques friandises de nos régions côtières de France, ha ha ! ». Un mourant relève doucement la tête et leur dit : « Moi, j’ai du plomb entre les côtes et je n’sais pas d’où il vient ! ». Puis il quitte ce monde brutal sans dire au revoir. Le mal poli !

La bataille achevée, il nous faut attendre longuement les chariots qui doivent nous transporter jusqu’à Astorga. Parvenus tardivement à la caserne, nous nous débarrassons de nos havresacs, fusils et autres accessoires de combattants. Pour fêter cette victoire bien méritée, nous nous rendons d'abord dans une taverne afin de boire quelques bonnes bières en nous réjouissant que si nous n’avions pas eu tant de pertes, il ne resterait plus grand chose à nous enfiler dans le gosier. Les sourires sont éclatants. Puis nous décidons de nous restaurer un peu, la guerre ça creuse ! Nous trouvons une sorte de baraque/taverne/bouiboui où nous achetons ou plutôt empruntons quelques victuailles, plusieurs vont se restaurer de tapas et autres aliments boucanés chez un cantinier local. L'heure passe très vite dans ce pays, et nous sommes déjà le lendemain. Il faut rentrer à la caserne pour nous reposer sur nos puciers. C'est à ce moment que la pluie a décidé de tomber avec force, nous rappelant nostalgiquement notre fière et humide Breizh (Bretagne) avec ses braves et croassantes grenouilles. Il a plu tout le reste de la nuit.



Dimanche matin, la diane résonne. Déjà ! Que j’me dis ! Nous constatons quantité de paillasses vides, nos malheureux compagnons d’infortune sont restés là-bas sur le terrain à se cailler les miches. N’y pensons pas ! Certains se lèvent pour trouver quelques gouttes de café, d’autres restent sous la couverture. Le temps est affreux à ne pas mettre un breton dehors. Quelques temps plus tard, c’est le rassemblement. Il faut se résigner à prendre la capote de laine, qui mouillée pèsera une tonne. Notez que not’ caporal Trusquin n’avait pas la sienne (C’est quat’jours qui dit l’sergent !). Destination le camp des Portugais qui ont promis, hier sur le champ de bataille, Porto et autres cochonnailles. En bon Français, ce type d’invitation ne se refuse pas. Il y va de notre honneur et de nos estomacs. En colonne par deux, nous traversons la ville à pas redoublés, sous une pluie battante. Le corps légèrement voûté, mais la tête haute, nous affrontons les embruns comme lorsque nous sommes en mer. Près d’un bois, on nous signale la présence du campement impériale. Il est bien tôt, mais sachant que le Patron dort peu, nous décidons d’aller le saluer. Nous approchons d’une première tente contenant des chasseurs à cheval de la Garde, dont aucun ne sort sous cette forte pluie. Bravo la Garde, que j’me dis ! Nous nous alignons devant la tente impériale fermée et sans aucune sentinelle. Le commandant « frappe » ou plutôt signale notre présence en ouvrant un volet de la tente. L’Empereur est là en compagnie de maréchaux. Not’ chef se présente militairement, ce qui oblige nos « emplumés » à sortir hors de la tente pour rendre le salut. Les capes sont posées sur les épaulettes dorées à gros bouillons, et les plumes blanches des bicornes commencent à s’effondrer à cause de la pluie. Les marins présentent les armes, stoïques sous ce déluge de flotte, ce qui contraint notre empereur Napoléon le 1er à sortir chaussé de sa légendaire redingote grise. Il nous passe en revue, pose quelques questions aux anciens dont certains ont 3 chevrons sur le bras, ainsi qu’aux jeunes conscrits. Le maréchal fait une remarque à l’un d’eux, sur un petit doigt trop éloigné du ressort d’une platine, rappelant le règlement. Nos compagnons étendus là-bas dans la boue, raides comme des tacos, se foutent bien du règlement. Ils seront bientôt dépouillés et enterrés, voire brûlés. Si quelques millimètres entre un ressort et un petit doigt pouvaient changer le cours d’une guerre, ça se saurait, que j’me dis en esquissant un léger rictus de mépris envers ce galonné. Bref ! Nous saluons not’ bon Sire et prenons congé pour rejoindre nos homologues portugais. Nous traversons un bivouac d’Anglais, dont les officiers, habillés en dimanche, buvaient tranquillement, le petit doigt en l’air, leur matinal thé indien, bien à l’abri sous leurs tentes, et fort chocking de voir des marins français affronter la pluie sans rechigner. Arrivés devant le campement de nos ennemis portugais préférés d’Almeida, nous saluons militairement ces braves soldats dont beaucoup ont recouvert leurs uniformes de couvertures. Les sourires s’animent, les embrassades se multiplient. Le chef Pedro ordonne à l’un de ses hommes d’aller chercher notre cadeau, c'est-à-dire un énorme cuisseau de jambon et quelques bonnes bouteilles de vins de Porto d’un excellent cru. On s’excuse des maux que la guerre nous a obligé de se faire en se promettant qu’à la paix revenue nous passerons de bons moments ensemble et que nous honorerons nos morts respectifs. Derniers aurevoirs et gestes de sympathie, puis nous retournons, toujours sous la pluie, à la caserne. Notre commis aux écritures s’était proposé de porter le Jamón qui se dit Ramon, il le regrette encore tellement la bête était lourde. Devant le casernement le train des équipages et deux chariots type « Minibus », encore un mot latin, nous attendent.



Ainsi s'achève not' bataille d'Astorga, version An 2018, où les vieux ennemis sont redevenus camarades. Nous reprenons, le cœur lourd, la route pluvieuse de France avec TOUS nos chevaux-vapeur ! Nous laisserons plusieurs compagnons près du port de Bayonne, d’autres à celui de Bordeaux, puis nous déposerons le matériel au dépôt de l’arsenal de Rochefort. Les derniers, Bretons de leur état, se rendront dans leur bonne vieille province (bro gozh ou vieux pays en breton).



Anaëlle dite Requiem : Appointé caporal aide fourrier à la 1ère section, 2ème compagnie du 8ème Bataillon d’OMM de Rochefort.

Bafouille : Requiem.

Transformations & censures : Lumière Céleste.

Corrections : Main Gauche & La Royale.

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