"Moiteur-camp" à Vouvant
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A l’attention du Commandant par intérim du 8ème B.O.M.M.
Le 27 mars de l’an 2023
Journal de marche du Sergent Tire-Bourre.
Chef de la 1ère batterie, 1ère compagnie du 3ème Régiment d’artillerie de marine.
Grande manœuvre du 24/03/2023 à Vouvant-Les-Bains
Vendredi 24 mars.
Effectif présent : Le 1er sergent La Gabelle, le caporal-fourrier Requiem, le caporal La Plume, l’appointé-caporal Mieux-Vaut-Tard, les ouvriers Main-Gauche et Cambrésis, les matelots Ty-Punch et Tana, le médecin-major Doc-Abel et sa dame Mme Tallien, mes canonniers Le Brutal et La Joie, moi-même le sergent Tire-Bourre et vous, Mon Commandant, Lumière-Céleste.
14H00. Rassemblement de la 1ère Cie du 3ème Régiment d’artillerie de marine, sis au petit dépôt d’Aubigny-Les-Grandes-Eaux.
Expression de ma pensée profonde, que j’vous note, Mon Commandant, pour information : Oui, je sais, c'est plus tôt que d'habitude, mais on joue en presque « local » donc on va essayer d'être là avant vous.
"Moiteur-Camp*" c'est le curieux nom de code donné par la cavalerie à ces « grandes » manœuvres dans le p’tit bled vendéen de Vouvant. Avec un nom pareil, je m’dis : "C'est dingue cette impression sournoise et persistante que ça mal finir !" Bon, c’est une mission pédagogique d’intérêt général, car ces cavaliers là ont besoin de nous aut’, Vieilles Moustaches, pour connaître les rudiments d'une « chevauchée fantastique » bien menée face à de l’infanterie, histoire sans doute d’apprendre à mourir dignement (j'ai pas dis héroïquement, faut pas pousser non plus !).
*Le nom original de cette sortie choisi par l’organisateur était : Winter-Camp de Vouvant, que nous avons tenté de traduire en « Moiteur-Camp ».
Je jette un coup d’œil à ma montre, il est 13H30... Hein quoi... déjà ?! « Moi, pas prêt !…, l’est à la traine Le Tire Bourre ! » que j’me dis, et l’sergent La Gabelle qu’a déjà franchi le caniveau qui me sépare de la fosse d'aisance, heu... je veux dire le magnifique pont-levis millénaire qui enjambe mes douves peuplées de voraces piranhas que j’nourris avec les intrus du voisinage qui lorgnent de trop près notre dépôt. Bref, vous savez déjà ça ! J’finis d’charger le char à bras à la va-vite, pour accueillir comme il se doit notre sergent en 1er.
14H05. Le canonnier Le Brutal se pointe, ou plutôt débarque (il est marin), avec son attelage du train d’artillerie, histoire de faire prendre un peu l'air à son p’tit « Nalui » de Gribeauval. Les chevaux attelés, nous partons aussitôt pour le camp de Vouvant, que nous rebaptiserons plus tard Vouvant-Les-Bains, tout comme à Aubigny. Mais j'ai comme une impression bizarre..., une sorte de vide..., un pressentiment diffus, … de quoi ? Je n’sais point! « Mais, bon, ça passera bin ! » que j’me dis.
16H00. Notre convoi arrive au domaine de La Loge, site assez boisé, gorgé d’eau, parsemé de chemins boueux encombrés de branches cassées, bref ! Ce lieu n’est pas entretenu par la garnison présente, mais il faut être magnanime, ce ne sont que de simples cavaliers, peu habitués aux nobles tâches manuelles forestières. Nous aut’, troupes de marine, nous aurions tout nettoyé. Arrivés à l’entrée du domaine, nous demandons au planton de garde où se trouve l’officier commandant la garnison. Un cuirassier se présente, un nommé « Blanc-d’œil » je crois, il nous désigne un pré jouxtant celui des chevaux. J’observe qu’ils m’ont l’air bien tranquilles, et pour cause. Notre « cauchemar des équidés », c'est-à-dire le cambusier La Garouille n'est pas des nôtres pour c’te fois, trop occupé à préparer un coquetel-dinatoire pour le préfet maritime de Rochefort, l’amiral Martin, composé d’une friture d’Hippocampes* sur lit d’algues brunes porcines du Morbihan, son met préféré, paraît-il, une tuerie ! En effet, Notre pauvre cambusier n’avait pas obtenu du dépôt du train de la Rochelle, quelques « steaks de bourrins sur pattes » considérés par lui, hors services. Bref ! Ces braves chevaux de guerre broutaient une herbe bien grasse, vu l'état très humidifiant du terrain. Mon canonnier Le Brutal et son sergent bien aimé, c'est-à-dire moi-même, décidons de cravacher nos sulkys histoire de ne pas finir plantés comme des poireaux, dans c’te gadoue de terrain.
*Surnommé chevaux de mer.
Le sergent La Gabelle observant la scène, se prend, d’un coup, pour un obscure type dénommé Zitrone*, et se lance dans un rapide commentaire: « C'est le train d'artillerie du Brutal qui s'élance en premier suivi de prés par le maxi-train de Tire-Bourre. Le Brutal prend la corde au virage du pré-mouillé, son rival sur ses talons, et passe ainsi le premier l’obstacle du gendarme-couché, puis, profitant de son faible handicap, traverse sans encombre le fossé dit de-la-vase-molle. Hélas, n'y a pas de David-instantanée pour immortaliser cet épique épisode de la vie trépidante des Bigors vendéens. Ainsi, pour les turfistes locaux, il fallait donc jouer, le N°2, Le Brutal, casaque bleu, liseré rouge, suivi de Tire-Bourre le N°1, casaque bleue de Prusse, liserée or, le N°3, dit La Joie, n’a pas donné, étant déclaré forfait. A vous Cognacq-Jay, à vous les studios ! »
*Léon Zitrone futur transfuge Russe qui intégrera bien plus tard la compagnie de propagande visuelle l’ORTF.
« Eh, oh, sergent, c'n’est pas bientôt fini d’se foutre de nos gueules, oui ?! » Que j’y lance avec des éclairs dans les prunelles. Maintenant qu’le charroi est embourbé jusqu’aux essieux, va falloir l’décharger avant d’pouvoir le pousser à bras, au presque-sec du pré.
Donc on vide tout l’avant-train, les pieds dans la bouillasse jusqu’aux genoux, mais il a un Namoi d’marine à son cul qui tient bon et résiste encore et toujours au désenlisement. Et dire que je n’voulais pas salir mes roues toutes ferrées ! Ce bled là, y n’peut pas être dans ma blanche Vendée, c’est que d’la gadoue bretonne, presque du bayou d’Louisiane, que je m’dis, mais sans les crocos. Constatez, Mon Commandant, qu’c'est eux-mêmes, mes canonniers, qui le disent ! D'ailleurs, j’y pense d’un coup, faudrait qu'on reparle des fameux formulaires d’adoption référencés 3°Rama/Namoi/A-38. Mais c’n’est vraiment pas l’moment ! J’décide donc, par conséquent, qu’on laissera L'Abeille* et son sabord dans le charroi.
*L'Abeille c’est le surnom donné à la pièce de mer.
C'est à c’moment là, qu’le canonnier La Joie s’présente et constate, sourire aux lèvres, que pour la 3éme fois, j'suis emmer…bourdé jusque-là. J’me tais en serrant les dents, car j'ai un besoin urgent d’pousseurs, mais j'en pense pas moins. Ça s’paiera plus tard ! Fallait bien trois canonniers d’marine du Club-du-Quintal, pour désembourber l’machin d’fonte. Ouf !
Une fois au presque-sec, on commence le montage du camp par le Tivoli-Cambuse, la cuisine, pas roulante, La Goulue, puis La mini-Goulue et enfin la pompe à Cerveja de Limao, si précieuse à notre compagnon ouvrier Trognon, qui raffole de ce breuvage lusitanien. Mais c’est une autre histoire.
Je regarde vers l’entrée et d’une façon concomitante (je n’sais pas la signification d’ce mot, mais ça sonne bien sur le papier), je vois arriver le détachement Rochefortais sur un chariot fourni par l’arsenal. En passant devant moi, je constate qu’il est inscrit à la craie, sur son flanc « Super Euh », sans doute en raison des robustes chevaux (vapeurs) qui tractent l’attelage. L’commandant nous informe qu’en venant à nous, plusieurs barrages de la maréchaussée barraient les routes et chemins de la région, à la recherche d’une bande d’inciviques brigands nommés curieusement « Green’s-Ecolo-terroristes », qui en voudraient, aux dires des gendarmes, aux ustensiles ménagers de nos campagnes, destinés au lavage du linge sale, que nous nommons ici « bassines », chez les aut’ ça se dit « lessiveuses ». On n’a pas bien compris pourquoi ces gens là en voulaient tant aux lavandières et leurs accessoires, dans une région où les lavoirs communs sont légions. Bref ! Mais, bon j’dis ça et j’dis rien, mais l’premier gonze qui osera toucher à mes marmites, j’le ferai passer à la Roulette russe d'artillerie, c'est-à-dire : On fait comme d’hab, on prend un canon (peu importe le calibre), on l’charge à mitraille (avec ou sans farine), on attache la tête du type à la gueule, puis on agite le boutefeu sur la lumière et … Booum ! Tout raccourci l’bonhomme, comme en 92 ! Si c’n’est pas le « Booum », ce sera le « Pshiiit » du long-feu, qui sauvera la caboche du type, parce que dans artillerie de marine, on très enclin à laisser une chance au hasard. Le canonnier de marine est et restera toujours magnanime et humain !
Sur ce, not’ vieux commandant, les rênes en mains, comme un vulgaire gambardier, s’apprête à entrer sur le terrain spongieux, certains que ces ardennais-vapeurs de bourrins tireraient sans problème le charroi de la flaque gluante. Que nenni ! La bouillasse est plus forte que les chevaux de trait. Mais not’ chef est aussi un ingénieux ingénieur de marine, un malin quoi ! Y connait les choses de la vie, lui qu’à tout créé ici-bas, c’est not’ dieu à nous aut’, pauv’ diables ! Il donne de suite des ordres, car il est chef ! La force motrice sous forme de poussée humaine, il s’en tape les g’noux. C’est aux sciences nouvelles qu’il fait appel, aux lois de Newton, à la poussée d'Archimède, à la force hélio-motrice et surtout à l'attelage à bœufs du bouseux du coin. Y a pas à dire, il en a dans l’tibia not vieux ! Enfin dégagé du bourbier, le charroi charentais du chef, restera sur le bord du sentier.
En 12 temps, 18.000.000 mouvements, le campement est monté, dont la tente du commandant et celles des OMM. C'est l'heure pour moi, Maître-Coq (Cuisinier d’marine) pour la circonstance, de préparer la maigre pitance du troupier. Un malaise, une gêne, un stress... me fait frémir, comme de sortir sans capote un samedi soir pluvieux, mais vous voyez, Mon Commandant, ce que j’veux dire ! Y a comme un truc dans l’air, mais quoi ? Bref, passons !
Il est inscrit le menu, sur l’ardoise à l’entrée de la cambuse d’artillerie : Parfait de volaille à l'aigre douce et sa garniture forestière, fromages de caractère et fruits non exotiques. J'ai juste le temps d’lancer la cuisson que nous sommes tous conviés, en grande pompe, à partager un apéro mondain offert par la cavalerie et le maître du domaine. Le chef des cavaliers, le fameux cuirassier du début, en profite pour évoquer le déroulement des actions de guerre à mener dans ce camp d'entrainement : La cavalerie, répartie en trois formations : Cavalerie légère (hussards), de ligne (Lanciers & chasseurs) et lourde (Cuirassiers) devra débusquer l’infanterie et l’artillerie à pied, puis les charger et les détruire, prouvant la redoutable efficacité des troupes montées sur la piétaille laborieuse. Mon regard croise vos yeux noisette de braise, mon commandant, et vous esquissez, un très léger rictus sur votre mâle figure. Nous réduire en simple charpie qu’ils disent les Gros talons, ici, dans l’bocage vendéen. Les pauv’ qu’on s’dit ! Y doivent être Parigos ces gars là !
Ce programme nous sied à merveille. Nous songeons aux souvenirs de not’chef, racontés dans la pénombre, à la lueur des feux de camp, que des exercices de ce genres furent exécutés, jadis, sur les terres du prince Murat et du général de Chasseloup-Laubat, près de Marennes. La conclusion est et sera toujours que dans un bocage ou sur un chemin bordé d’arbres et de buissons, les cavaliers, quelque soit l’arme, ne pourront aligner que 3 à 5 chevaux en ligne et qu’en face, une simple escouade, fusils à baïonnettes au poings, bons tireurs de surcroîts, pourra, en une seule décharge, arrêter une colonne entière en tuant les premiers types et leurs montures. Et même si quelques prétentieux cavaliers, parviennent à passer par-dessus le monceau d’cadavres, une pièce de 4, chargée à mitraille, les étendra raides morts, comme des tacos ou les dispersera façon puzzle.
Tout en écoutant les propos forts optimistes de l’homme à la cuirasse polie, j’vous l’ai dis tout bas, Mon Commandant, que j’n’avais pas prévu d’lasagne à la Spengero au menu. Sur ce, on s’dit qu’on a faim et qu’il faut rejoindre le camp. Je m'éclipse en douce, afin de mettre une dernière touche à ma sauce aigre-douce. Mes convives ouvriers et canonniers s’installent à la tablée, gamelles en main, la salive dégoulinante à la commissure des lèvres, car l’odeur semble les attirer comme les mouches près du 2ème bureau du chef (les toilettes sèches). Je commence à servir, et, pour l’occasion, j’ai chaussé de robustes gants à crispin triple-cuir. Le Brutal croyant le plat trop chaud, s’apprête à m’aider. Que nenni ! Que j’y dis ! C’est pour protéger mes phalanges boudinées. J’les connais ces affreux carnassiers, de vrais lions d'Afrique ces marins, surtout l’Mieux-Vaut-Tard, un vrai crocodile du Nil avec des baïonnettes à la places des canines. C'est que je tiens à mes mimines moi ! J’parviens tant bien que mal à protéger ma personne des morsures de ces monstrueux ouvriers de marine, et j’pense déjà au dessert et là, … « Putrelle de gourgandine de coureuses de rempart, bordel de pingouins manchots-borgnes ! » J’viens de découvrir ce qui me tracassait depuis des heures. Le FROMAGE ! J’ai oublié le fromage au dépôt d’Aubigny.
« Merdouille de purée de poix d’calfats, que la peste bubonique me foudroie ! », j’vais m’faire fusiller ou tailler en pièce par mes propres hommes. Y vont m’embrochailler de la barbe au cul et m’faire rôtir, comme en Espagne. Sont rancuniers les bougres ! Ah ! J’les entends déjà marmonner sous leur moustache graisseuse, ces mécréants, ces pisse-froids, ces demi-sels, ces capitaines de bateau lavoir* :« Ouais, après ce pauvre encas on aurait bien fini l’pain avec du fromage ! », ou : « Moi, sans fromage, j’ne peux pas digérer le Gluten", ou encore : « QUUuoi ! Mais, si y pas d’fromage, y a pas d’rouge non plus, c’est révoltant ! » Et bien d’autres commentaires injurieux envers mon humble personne, légionnaire de surcroît. Cependant, j’reprends vite le dessus, et j’fusille d’un regard guatelinien, toute cette tablée d’ingrats marins d’eau douce. Les racontars ce calment assez vite me sentant, envers eux, plein de compassions mortifères et de shrapnells pensées. Tire-Bourre, gentil ? ... NON. Compréhensif ?... NON PLUS ! Armé comme un vaisseau d’110 avec des Namois d’concours ! OUI ! Qui veut un fruit ? Que je lance à l’assemblée ! Bananes ou pommes (Dans vos tronches, que j’pense !). Une mouche passe !
21H15. Il fait déjà bien sombre en cette soirée de mars, les nuages sont bas, va sans doute tomber d’l’eau c’te nuit. C’est bientôt l'heure de mettre la viande dans l’torchon, surtout pour notre cher sergent en 1erLa Gabelle qui s’prend pour un crabe et marche en biais, tantôt à gauche, tantôt à droite, et semble vouloir, sans y parvenir, se diriger vers sa tente, qui ne cesse de bouger d’place, « Foutue toile à matelas ! », qu’il dit ! Y avait peut-être pas d’fromage, mais y avait du Jaja bien rouge et qui tache, qu’il a goûté à de nombreuses reprises, histoire de voir s’il n’était pas bouchonné. Constatant qu’il avait pris le cap, plein nord, c'est-à-dire à l’opposé de sa destination finale, il fallu l’aider à rejoindre son port d’attache et l’étendre sur son hamac, ou plutôt sa paillasse. Deux de nos compagnons se sont transformés en béquilles pour porter l’ancêtre galonné vers sa tente. La vieillesse est un naufrage, que j’me dis en finissant mon verre de Cerveja de Limao*,
*Bière portugaise sans alcool.
21h30. Dodo ! Bin quoi ? On peut être le plus terrible des canonniers de marine de France et se souvenir du tendre dodo de son enfance. Le pouce dans la bouche en moins, l’est trop crasseux ce soir. Seulement voilà, mon premier sommeil est interrompu par des bruits provenant de l’atelier d’un charron, d’un maréchal-ferrant, d’un forgeron, voire d’un scieur de long, travaillant en 3x8, donc aussi de nuit. Je m’dis : « Y sont fous ces cavaliers, on n’fait pas bosser un arsenal la nuit ! » En fait, sortant ma tête au-dehors, je constate qu’le brouhaha nocturne vient des tentes qui se gonflent et dégonflent à chaque respiration du gus qui dort en-dessous, de vrais aérostiers ces bougres-là ! Tout cela m’a rappelé mes campagnes lusitaniennes d’Almeida et les attaques nocturnes et nuisibles des troupes angloises de lord After*
*Voir les précédents journaux de marche.
Samedi 25 mars.
6H00. Diane etréveil. Il fait encore noir et il a plu toute la nuit. J'essore le bois bien trempé et lance le feu sous La Goulue, pour le petit déj de la troupe. Je croise not’ commandant qui m'informe avoir déposé durant la nuit, pour la protection du bivouac et par conscience professionnelle, une "mine" anti-personnel, mais qu’en raison de l’obscurité il n’a pu marquer, avec un piquet de bois, l’emplacement de ce merdique piège, aux abords du camp, et qu’il n’avait en sa possession que de petits carrés de papier rose. Bref ! Qu'il attend le Jour pour signaler l’endroit de ce piège à cons. L’est curieux, parfois not’chef, non ?!!!
7H00. Levée de la troupe en ordre, disons… dispersé. L'eau chaude frissonne dans la bouilloire, et je constate que ses salaupiots d’marins d’eau douce, semblent curieusement très courtois avec moi. « Chantez beaux merles ! » Ils donneraient Versailles, Paris, Saint-Denis, les tours de Notre-Dame et la jolie colombe*, comme le dit la chanson, pour un malheureux café-noisette bien chaud, accompagné de tartines beurrées (sans fromage). J’vous le dis, se sont de vrais faux-culs ces marsouins d’aquariums.
*Paroles de la chanson : Auprès de ma blonde
8H00. L’impensable,l’indicible,le drame olympien, la chute des aigles, not’ commandant, not’ Lumière-Céleste, celui qui illumine nos pauvres vies, si soucieux du bien-être de ses hommes, nous dit qu’en voulant traverser une clôture pour rejoindre son chariot, il n’a pas vu les ronces scratcher ses bottes, et a chu brutalement de tout son long, mais, il ajoute, que par un reflexe naturel, il a exécuté un double salto avant, suivi d'une triple boucle avec réception sur … le tarin, qui lui ont provoqué, durant quelques secondes, l’illumination de 36 chandelles dans sa lanterne. Le pire dans cette histoire, n’est point la chute héroïque de notre bien aimé second patron (le 1er étant not’ Sire Napo), mais c’est que personne d’entre-nous n’a vu, de ses yeux vus, la scène épique. Seul le témoignage de notre chef, corroboré par une trace de boue sur la moitié de son mâle visage, prouve qu’elle a eu lieu, en ce jour de mars de l’an 2023, en terre sainte de Vendée. On envisage de se cotiser afin de faire construire, sur cet emplacement, désormais mythique, un calvaire surmonté d’une tête d’Aigle impériale ceinte d’une couronne d’épines … de ronces. Mais on verra ça plus tard !
9H00. Bon, mais on est là aussi pour bosser.Attribution des armes et nettoyage, suivi de manœuvre de pieds fermes, histoire de dégourdir les articulations. De mon coté je lance la préparation du frugal repas de midi (Frugal, en effet, car il n’y a toujours pas de fromage !)
10H00. Le commandant et moi-même n'écoutant que not’ courage, partons en reconnaissance furtive sur les lieux où, parait-il, la cavalerie doit nous émondier. Des Ah, ah, ah, hilarants résonnent dans le silence de la campagne. On nous présente donc l'archétype du chemin de bocage vendéen, bordé d'arbres de parts et d'autres et glissant comme les chiottes d’un bordel caucasien. Bref ! Nos cavaliers, familiarisés aux grandes et épiques charges dans les steppes de Russie, nous donnent là l'exemple parfait de l'expression " Tirer une vache dans un couloir". Je songe d’un coup, qu’avec cette future provision de viande équine, y faudra sans doute modifier les menus des jours prochains. Y doit bien m’rester des pâtes italiennes et du râpé d’Parmesan dans not’ caisson, que j’me dis.
12H00. Retour au camp ou je mets une dernière paluche au menu du jour, puis j’inscris à la craie sur le panneau : Estafilade de goret en colère, façon Dijonnais, agrémenté de ciselés de fruits de la terre, rôtis au four, sur son lit d'oignons frits*. En dessert, pommes ou bananes, et toujours pas d’fromage.
*Traduction : Porc et patate.
14H00. On s’apprête à partir à la guerre. D’un coup, une estafette informe not’ commandant que la cavalerie vient, à c’t’heure, de passer à table. Le désastre du Little-big-Horn vendéen, n’aura pas lieu avant 15H30. Je rage. Ces jockeys d’manèges en bois, ces monteurs d’chevaux d’arçon, commencent à me piétiner l’aorte. Pas grave ! Que je m’dis, j’vais calmer mes ardeurs combatives en faisant des gaufres-noisettes, car j’aime bien les gaufres-noisettes, c’est vachement bon les gaufres-noisettes ! J’commence la cuisson de ce super dessert, mais j’vois mes abords s’assombrir, un gros nuage viendrait-il à passer au-dessus d’ma cambuse ? Que nenni ! Cet ombrage vient tout simplement du rassemblement, autour de Ma Goulue, d’une tripotée d’matelots et d’canonniers affamés, attirés par l’odeur alléchées de mes gaufres-noisettes, et j’n’ai pas mes gants triple-cuir à proximité, aïe !
15H30. Une grosse chariote toute ferrée, dénommée Range-Gros-Vert, viens atteler not’ avant-train d'artillerie. Le conducteur n’est autre qu’une conductrice, j’en frissonne encore. Ce robuste véhicule, à l’allure d’un canasson cul-de-jatte nous mène, en passant, sans encombre, les ornières boueuses du chemin, à destination, c’est à dire au futur lieu-dit « La Boucherie-Chevaline ». Not’ Commandant prend ses dispositions de combat, 4 ouvriers en tirailleurs barrant le chemin, les autres bien cachés derrière les haies vives, de chaque côté. A cent pas derrière, notre pièce de 4, farcie jusqu’à la gueule de mitrailles. L’ouvrier Cambrésis, laissé en sentinelle, nous fait signe que des cavaliers arrivent. Nous observons de loin, l’avancée de cette colonne, dont un peloton de hussards ouvre la route. Il n’y a pas de flanc-garde, en raison des haies vives. Qu’allons-nous combattre ? D’abord des hussards, suivis de chevau-légers lanciers, d’un officier d’état-major, puis des cuirassiers. Le premier champ, dont la clôture est ouverte, est rapidement reconnu par les hussards. La colonne repart et arrive lentement, le chef hurlant un « par la gauche, marche ! », sur le sentier que nous occupons. Ils sont à 500 pas au moins. « Chargez-vos armes ! » ordonne tranquillement not’ chef. Les cavaliers, hussards en tête, trottent difficilement sur le terrain boueux. Certains chevaux glissent faisant craindre quelques chutes, cependant ils arrivent jusqu’à 50 pas de notre ligne, impossible de nous contourner en raison des haies vives, ils sont 3 de front. Une seule issue pour eux, que j’me dis : l’enfer ! D’où je suis, boutefeu en main, j’entends : « Apprêtez, … joue,… feuuuu ! ». La fumée laisse entrevoir, ce que nous subodorions déjà (pas mal le mot !). Une colonne désorganisée, et un mur de chevaux et d’hommes à terre, plus ou moins écrasés les uns sur les autres. Plus loin, un cheval semble vouloir se débarrasser d’son encombrant cavalier et y parvient. Le pauv’ s’échappe en boitillant clopin, clopan, une cheville en vrac. Nos ouvriers achèvent, les souffrances ces moribonds, à bout portant. Les autres n’ont que la fuite comme refuge, mais les balles et biscaïens de la boite à mitrailles les rattrapent.
Durant l’après midi, plusieurs combinaisons et démonstrations de ce type sont tentées par les cavaliers, avec parfois, comme réponse, la seule action du canon (sans le soutien du feu des fantassins). Conclusion : Pas de cavalerie dans le bocage ! Sauf pour éventuellement éclairer une colonne d’infanterie. L’expérience chez le prince Murat et le général Chasseloup-Laubat, s’est de nouveau renouvelée. Un regret toutefois, l’absence du cambusier La Garouille, qui aurait pu nous rapporter quantité de barbaque équine pour la garnison de Rochefort.
16H30. Fin des combats, faute d’assaillants, les chevaux hennissent de soulagement, langage animalier que nous pourrions traduire par: « Faudrait pas nous prendre pour des bêtes à cornes et s’faire flinguer à bout portant dans la gadoue avec un humanoïde sur le dos, c’n’est pas équin ça ! ». On comprend qu’ils préfèrent brouter tranquillement l’herbe grâce du pré. Sur ce, nous aut’, on attelle de nouveau la pièce au chariot tout terrain Range-Gros-Vert, on monte dessus, puis on s’en r’tourne au camp sous les ovations de nos braves ouvriers et matelots qui, eux, marchent le long de la route.
17H00. De retour au campement, « Y a urgence ! » que j’me dis. Retour aux gaufres dont le fumet me semble un peu trop chargé. Pensez-donc, ce parfum envoutant n’attire pas seulement les mouches, les ouvriers, matelots et autres nuisibles, mais aussi le staff du 79ème de ligne, pourtant engarnisonné à 40 Lieues de là. Pour picorer l’quatre-heures d’honnêtes canonniers, y a du monde, mais pour confectionner des cartouches, y a comme qui dirait de l’évaporation. D’ailleurs question « évaporation », les futs de chêne contenant ma Cervesa de limao semblent avoir des fuites, tellement il m’en reste peu. Tout ce qui existe de soldats sans activité semble s’agglutiner autour de ma Goulue et attendent l’heure de la popote.
20H30. Il n’y aura pas le ding-ding de la clochette de Messire Paulo-Le-Terrible, car l’est point là, pour appeler les affamés et sans-dents d’la marine à voile. Le repas d’ce soir sera frugal et sans chi-chi : Velouté de poulet aux légumes d’automne, omelette façon Cataluna, fruits d’saison. Pourquoi donc « frugal » ? Tout simplement parce qu’il manque l’essentiel à c’te repas, le crémeux, celui d’caractère, le croûteux odorant, le coulant baraqué, ce P… d’fromage oublié si loin !
23H30. La retraite sonne, l’est temps d’aller reposer son corps, certes d’athlète, mais meurtri par les ans et une éprouvante journée, à voir tant d’monde trépasser pour rien. Malgré mes suppliques, j’crois qu’les ateliers de sciage et de forges sont d’retour, j’les entends bosser sous les tentes d’à côté. Pauv’ bougres, c’n’sont pas des conditions travail de nuit, que j’me dis en baillant. Tien, il pleut !
Dimanche 26 mars.
6H00. Diane, réveil. Il fait toujours nuit, le ciel est sombre, va encore flotter aujourd’hui. J’relance les braises sous ma Goulue et j’prépare le petit dèj de la troupe. Mon café-noisette, mon pain et tout l’reste va encore en prendre un coup. Quel gâchis ! Espérons qu’le sergent en 1er n’aura pas trop la gueule de bois après avoir ingurgité, tout ce qui est liquide sur le camp, même l’huile de nos lanternes. Les aut’ se lèvent progressivement les cheveux hirsutes, les yeux en trou d’P… serrure.
9H00. Je fais une rapide inspection des prés alentours dont le nôtre qui n’est plus qu’une éponge boueuse. J’vais voir le futur terrain de manœuvre des cavaliers (Enfin, ce qu’il en reste, car les aut’ sont dans une fosse, sous une couche de chaux-vive et de terre, un peu plus loin !). Ne pouvant plus manœuvrer avec ce temps pourri et souhaitant rendre des chevaux vivants aux loueurs, les cavaliers décident de nous épater en faisant des courses de tête, sur l’allée centrale du châtiau. Animation équestre imitant approximativement ce qu’ils réservaient aux marins de nous sommes, c'est-à-dire nous décoller le chef avec leur lame de concours : bancal, latte de cuirassier, sabre courbe de hussard, voire Laguiole (l’authentique, celui avec la mouche dessus), comme l’ont fait les mamelucks à Madrid, un certain 2 mai 1808. D’ailleurs à c’t’époque not’ grand chef s’était pris une dose de mayo sur le plastron de velours, bref ! Seulement voilà, ce terrain là n’est point convenable aux nobles destriers, y a plein de nids d’poules et de flaques d’eau, incompatible avec les belles bottes cirées. Faudrait l’damer un brin, boucher les trous etc. en faire une belle allée comme celle du château d’Vincennes du Patron. Hélas, un cavalier, n’est que ça ! Le brassage de la paille, du foin et du fumier à la fourche, ça ils savent un peu faire, lorsqu’il n’y a pas de palefrenier à proximité, mais travailler la terre à la pioche, pelle, et râteau, y connaissent point ces bougres là. L’est bien heureux l’châtelain d’trouver des troupes de marine pour ce laborieux ouvrage. Après not’ passage on pourrait presque « manger » dessus. Nos rescapés du naufrage-équestre récent, mirent tout de même trois plombes pour s’habiller, s’équiper, monter, ou plutôt se faire bouter sur leur selle, puis commencer à gesticuler autour des têtes en paille, qui « saperlipopette » ne voulaient pas tomber. C’n’était vraiment pas leur jour !
13H00. L’heure du repas de midi à sonné : Menu : Rougail de saucisses, riz pilaf, fruits, toujours pas d’fromage (Merdouille en vrac ! que j’continue d’grommeler.). Nous accompagnons notre frugale popote de chants guerriers de marins, alors que not’ grand chef, vérifie souvent, ce qu’il croit en cachette, si les p’tites rondelles de cochonnailles sont bien comestibles, car l’est soucieux de notre santé, et ça au mépris des risques qu’il prend si son cauchemar culinaire de Mélissa dite Sans-Quartier-La-Cruelle lit ces lignes.
14H00. En raison du temps pluvieux et du manque de cavaliers, tous ou presque étant à l’infirmerie ou convalescents, il est décidé de cesser l’activité du week-end en ce début d’après-midi.
14H30. Tout le monde se salue et se promet de faire mieux la prochaine fois. Pour nous aut’, troupiers de marine, c’est quand ils veulent ces cavaliers du dimanche ! Le matériel de campement est vite-fait chargé dans les chariots et chaque détachement rejoint son dépôt. Celui de not’ chef semble plutôt chargé, les tentes étant toutes trempées.
Rapport comptable sur les consommations :
80 cartouches de fusils brûlées.
10 Gargousses pour le canon.
Les balles et biscaïens ont été récupérés dans les corps des sans-vies, avant leur ensevelissement. Y pas d’petite économie et ces temps d’pénuries.
Requête pour une citation.
Par la présente, j’ai l’honneur de soumettre à votre bienveillance, Mon Commandant, une demande de citation ou de récompense spéciale, pour le cheval dénomme Chucnoris, qui, acquis à la cause des troupes de marine, a décidé d’éjecter son cavalier, puis d’en estropier un second, avant de prendre la fuite, favorisant de ce fait d’arme, la déroute des autres assaillants.
Veuillez trouver ici, Mon Commandant, la copie de mon journal de marche, sans aucune menterie, écrit en parfait et compréhensible François de souche, sans faute, ni omission, … enfin j’l’espère !
Avec mes plus plates, courbées et respectueuses considérations.
Fred, dit Tire-Bourre
Viva Almeida ! Viva Portugal !
Mais Vive l’Empereur !*
*Faut pas déconner non plus!
Texte d’origine : Fred, dit sergent canonnier Tire-Bourre. Transformation, modifications & exagérations: Daniel dit Lumière-Céleste. Corrections diverses : Christelle dite La Royale et Benoit dit Main-Gauche.
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